Il était une fois à new york : « THE DEUCE » – RéTRO

David Simon & George Pelecanos

HBO, 2017-2019

NEW YORK × 70S × RUE

Funky Town/20

(Attention Spoilers)

David Simon est un nom qui parle aux amateurs de séries. Ancien journaliste, il a dirigé pendant cinq ans la writing room de The Wire, considérée comme l’une des meilleures séries de tous les temps. À ses côtés, une équipe d’auteurs talentueux, dont Ed Burns, Dennis Lehane ou encore Richard Price. Mais au fil des saisons, une voix s’est imposée, puissante, singulière : celle de George Pelecanos.

Fils d’immigrés grecs de Washington, Pelecanos s’est fait connaître comme romancier en signant une série de polars réalistes et punchy, profondément ancrés dans la rue et la musique des années 70. Des titres comme King Suckerman ou Funky Guns l’ont imposé comme l’un des grands chroniqueurs de l’Amérique urbaine et populaire. Sa rencontre avec Simon allait marier sa voix romanesque à la vision d’ensemble du créateur de The Wire.

En 2017, dix ans après la fin de The Wire, leurs retrouvailles donne naissance à The Deuce (le surnom donné à la 42ème Rue de New York), à mon sens l’une des plus grandes réussites d’HBO. L’histoire suit Vincent Martino, gérant de bar talentueux dans le New York des années 70, qui accepte de gérer un établissement pour le compte de la mafia italienne, laquelle s’apprête à mettre la main sur l’industrie du sexe et de la pornographie qui n’en est qu’à ses balbutiements. Autour de lui vont graviter truands, prostituées, macs et flics ripoux, dans un monde où chacun tente simplement de survivre avec ses armes, et de tirer son épingle du jeu, toujours avec la même idée : comment faire son beurre sur le dos d’un monde en mutation permanente et rapide ?

Vincent restera toujours en dehors de cette effervescence. Paralysé – ou protégé – par son refus de se salir les mains comme les autres pour gagner sa vie et faire son trou, il s’accrochera à sa boussole morale, testée saison après saison. Et quand son frère jumeau Frankie sera tué par un voyou, Vince se retrouvera face à l’ultime dilemme : céder à la vengeance et saisir le pouvoir qui lui tend les bras, ou rester du bon côté de la ligne rouge. Ce choix marquera la fin de sa trajectoire intime. À partir de là, l’histoire de Vincent – et donc la série – ne pourra que prendre fin.

Mais si Vincent est le héros de l’histoire, New York en reste évidemment le véritable personnage principal. Elle corrompt et magnifie, révèle ce que chacun a de plus sombre et de plus lumineux en lui. Chaque personnage n’en est qu’une variation, une émanation mystique : Candy, Rudy Pipillo, Tommy Longo, Abby Parker, Larry Brown, Harvey Wasserman, Black Frankie, Big Mike, Laurie Maddison, Paul Hendrickson… Une galerie inoubliable, impossible à réduire à de simples « rôles secondaires », tant chacun existe avec sa propre complexité.

Masquant son écriture brillante derrière un aspect chronique, parfois naturaliste, The Deuce est une fresque passionnante sur une Amérique en mutation. Mais en suivant l’essor puis la légalisation de l’industrie pornographique, Simon et Pelecanos racontent bien plus qu’une anecdote new-yorkaise : c’est une histoire de pouvoir, qui dissèque la mécanique d’un capitalisme en pleine dégénérescence, déjà capable à l’aube des 80’s de transformer la misère en produit, la violence en principe de survie, et bien sûr les corps en marchandises.

Comme dans The Wire, il n’y a pas de héros ni de méchants absolus dans The Deuce, seulement des hommes et des femmes pris dans des systèmes et des modes de pensée plus vastes qu’eux. Le génie de la série réside dans cette lucidité sans cynisme : elle montre la noirceur du monde, mais aussi les éclairs de grâce, de courage et d’amour qui subsistent au cœur même de la fange.

Comme toute bonne histoire racontant un passé, Simon et Pelecanos parlent en creux de notre présent : celui où le capitalisme n’a plus besoin de proxénètes ou de truands pour prospérer, car la machine s’est parée de ses plus beaux atours pour nous faire oublier qu’entre certaines élites et les macs les plus odieux de la jungle new yorkaise, la frontière restera toujours mince comme du papier à cigarette.

Baptiste CAMOIN,

Pour MyMemento

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