« Jacky », Anthony Passeron

Grasset, 2025

Récit autobiographique × Relations familiales × Jeux Vidéo

Note : 5 sur 5.

L’année dernière, j’ai publié une chronique sur Les Enfants endormis, le premier roman d’Anthony Passeron. J’avais été bouleversée par ce récit instructif qui brisait les tabous, mettait à mal la honte, rendait hommage aux oubliés d’une époque pas si lointaine – et aux oubliés d’aujourd’hui. Alors quand j’ai appris que l’auteur faisait son retour en librairie pour cette rentrée littéraire, j’ai plongé dans ce deuxième roman sans hésiter.

Jacky peut se lire indépendamment des Enfants endormis. Anthony Passeron poursuit la reconstitution de son histoire familiale avec ce nouveau livre. Nous sommes dans l’arrière-pays niçois, dans les années 1980 et 1990. C’est l’histoire d’une famille aimante mais abîmée par les épreuves et les tragédies. À travers un prisme original et surprenant, mais qui parlera à bon nombre d’enfants de l’époque, l’auteur aborde le déclin de sa relation avec son père, le dénommé Jacky, qui initia ses fils aux jeux vidéo et aux technologies révolutionnaires de la fin du XXe siècle. Une chronique sociale et familiale, avec en toile de fond un monde en plein changement.

« Cette modeste machine venue de l’autre bout de la planète s’imposait dans nos vies comme un ultime recours, notre dernière chance de nous soustraire à cette étroite vallée d’ennui. »

J’étais d’abord sceptique quand j’ai découvert que l’auteur entrecoupait son récit d’anecdotes historiques au sujet des jeux vidéo. Cette thématique ne me parlait pas forcément, je la trouvais presque incongrue. Mais très vite, elle prend tout son sens quand on comprend l’impact de ces consoles, des univers qu’elles diffusaient, sur des garçons rongés par l’ennui et impuissants face aux drames de la vie. Surtout, on découvre le lien étroit de ces innovations technologiques avec un père qui échappe petit à petit à sa famille, qui devient distant, froid et virulent, à des années lumière de l’homme qui partageait des parties mémorables de Space Invaders avec ses enfants.

« Nous qui avions tant craint, des nuits entières, d’être visités par nos fantômes, allions découvrir que nous ne serions désormais plus jamais hantés que par nos regrets.« 

L’auteur relate les événements de son point de vue d’enfant ou d’adolescent, mais avec le recul de l’adulte d’aujourd’hui. J’apprécie vraiment cet ancrage des récits autobiographiques dans une période historique, avec la mise en parallèle de problématiques sociétales, politiques, etc. C’est ce qui leur donne tout leur intérêt, toute leur pertinence. Plutôt que faire intrusion dans l’intimité d’autrui, on tire quelque chose d’un récit instructif. 

Ici, on a des réflexions sur l’isolement du milieu rural, sur une époque qui oscille entre tragédies et progrès, sur les injonctions collées aux petits garçons qui répètent des modèles dysfonctionnels, sur le poids de la tradition et de l’héritage, sur le deuil, l’abandon, la honte, les regrets, la violence. Les interludes consacrés aux jeux vidéo sont donc les bienvenus, et l’évasion recherchée par les garçons n’en est que plus compréhensible.  

« Je rêvais de catastrophe, d’une tempête, de la rivière en crue comme quelques années auparavant, quand elle avait emporté une partie du village. Je voulais qu’elle efface tout une bonne fois pour toutes, qu’elle lave nos vies des ragots, des rumeurs, et de tout ce qui ne s’efface pas, de tout ce qu’un village peut traîner derrière lui de peines, d’ordures et de fantômes. » 

Jacky, c’est une lecture douce-amère qui mêle nostalgie, espoir et noirceur, le tout magnifié par la justesse et la pudeur de la plume d’Anthony Passeron. Je ne peux que vous recommander la lecture des deux romans de l’auteur, tant pour comprendre ce récit dans sa globalité, que pour l’importance des messages qu’il porte. 

Marie

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