Éditions Zoé, 2016
Folio, 2018
Corée × Rencontre × Culture
Direction Sokcho, ville balnéaire vidée de ses touristes dès lors que le froid glacial s’abat sur ses plages. Située à quelques kilomètres de la frontière de la Corée du Nord, c’est là que nous faisons la rencontre de la narratrice, une jeune femme sans nom, employée au sein d’une pension. Un quotidien monotone, une solitude amère, une colère qui dort sous une surface indifférente. Tout cela commence à s’effriter quand elle fait la rencontre de Yan Kerrand, un auteur français de bande dessinée en quête d’inspiration. Hiver à Sokcho, c’est le récit de deux âmes qui s’apprivoisent et s’apprennent, à tâtons et avec prudence.
“Suintant l’hiver et le poisson, Sokcho attendait. Sokcho ne faisait qu’attendre. Les touristes, les bateaux, les hommes, le retour du printemps”
Malgré l’atmosphère alourdie par la dureté de l’hiver, j’ai été surprise de la douceur de cette lecture. Pourtant, même le style est rude : la plume est affûtée, les phrases sont courtes et percutantes. Mais comme tout lieu de villégiature déserté de ses touristes, Sokcho est une bulle hors du temps et de l’espace, mise en parallèle à plusieurs reprises avec Séoul, la capitale vivante et lumineuse. Alors à l’image de Sokcho, cette lecture fut un moment suspendu. En à peine 140 pages, on se glisse sans difficulté dans le quotidien de la narratrice, dans ses pensées et tourments les plus intimes.
Dès la première page, le Français fait son apparition. Très vite, les deux protagonistes sont autant attirés que intrigués l’un par l’autre. Qu’est-ce qui nourrit ce lien qui se tisse petit à petit ? Une curiosité pour leurs cultures respectives. Une sensibilité pour les failles de chacun. Un intérêt parfois déplacé pour les secrets de l’un ou de l’autre. Entre amitié et un peu plus, c’est surtout une confiance mutuelle qui s’installe entre eux.
Avec beaucoup de pudeur, peut-être un peu de méfiance, ils se frôlent, échangent à demi-mot, se portent des regards qui n’ont rien d’anodin. Le résultat : une tension, voire même une passion, qui guide tout le récit. Sans désir ardent ni émotions incontrôlables, c’est comme si cette relation était sous-jacente ou non-dite, alors qu’il y a peu de place pour l’interprétation.
« — Comment savez-vous qu’une histoire se termine ?[…]
— Mon héros atteint le stade où je peux dire qu’il vivait avant moi, qu’il vivra après moi. »
Ce n’est pas un roman d’amour, selon moi. C’est plutôt une tranche de vie de la narratrice, et il se trouve que cet épisode est marqué par la venue d’un artiste français à la pension qui bouscule ses certitudes et ses habitudes. Mais ça va plus loin : le roman explore le mal être, les injonctions physiques, les désillusions de la jeunesse, les obligations familiales. On a aussi des pistes de réflexion très intéressantes sur l’art, la littérature et toute l’imagination qui les nourrit.
Un roman très complet, donc. Chaque détail est abordé avec précision et délicatesse, et en si peu de pages, l’autrice parvient malgré tout à nous présenter un échantillon de la culture et de l’histoire coréenne, des aspects qui m’étaient méconnus ou mal connus.
Une belle découverte, dont je retiens l’atmosphère singulière et les personnages profondément humains.
“Les plages ici attendent la fin d’une guerre qui dure depuis tellement longtemps qu’on finit par croire qu’elle n’est plus là, alors on construit des hôtels, on met des guirlandes mais tout est faux, c’est comme une corde qui s’effile entre deux falaises, on y marche en funambules sans jamais savoir quand elle se brisera, on vit dans un entre-deux, et cet hiver qui n’en finit pas !”
Marie


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