Léméac, 2024
Le bruit du monde, 2025
Mémoire familiale × Roman social × Lutte des classes
Un roman qui me faisait de l’œil depuis sa parution ! J’avoue m’être lancée un peu à l’aveugle, intriguée par la presse que suscitait cet ouvrage et confiante grâce au Bruit du monde, un éditeur qui a toujours su me convaincre.
L’auteur nous embarque dans une rétrospective de sa lignée maternelle. Le roman s’ouvre sur un arbre généalogique qui nous dévoile tous les noms qui deviendront familier au fil de la lecture : Martine, René, Alice, Louise, Tony, Eugénie. De 1872 à 2025, les générations se succèdent au rythme des évolutions de la société, des guerres et des bouleversements économiques. Si ce récit est une plongée au sein d’une famille somme toute assez ordinaire, c’est aussi un panorama du XXème siècle proposé à l’échelle de ceux qui l’ont vécu. Le cadre ne change pas : Lyon, sa “colline qui travaille”, sa banlieue et sa campagne. Et comme ses habitants, on voit la ville souffrir, renaître, croître, au fil des décennies.
Ce roman, à la fois témoignage et hommage, est le fruit d’une démarche que l’auteur décortique dans son texte. Ecrire les morts, écrire ses ancêtres : pourquoi ? Comment ? Quand on lit les mots de Philippe Manevy, on perçoit leur effet thérapeutique, salvateur. On a là un livre puissant, qui conjugue avec brio l’ordinaire à l’extraordinaire.
“Raconter sa famille, c’est tenter de retrouver ces époques tout à la fois proches et lointaines, liées à nous et irrémédiablement disparues, de comprendre la façon dont elles nous ont façonnés, déformés, construits ou détruits.”
Je suis encore surprise de la vitesse à laquelle j’ai dévoré ce roman. On entre dès les premières pages dans l’intimité de cette famille qui nous est inconnue. On fait la rencontre de Martine, la mère de l’auteur, puis d’Alice et René, ses grands-parents. Pour comprendre l’un, il faut comprendre l’autre, voire remonter plus loin pour avoir une vue d’ensemble et saisir tous les échos de ces caractères, ces habitudes, ces opinions. C’est presque une enquête sociologique ! On est loin du sensationnel, des plot-twists à répétition, des secrets de famille bien enfouis. Et pourtant, impossible de lâcher ce bouquin. Parce que sans m’en rendre compte, les questions que se pose Philippe Manevy, j’ai fini par me les poser aussi.
Sans m’identifier à cette famille, car chaque héritage est unique, je me suis malgré tout interrogée sur mes propres ancêtres. Comment ont-ils vécu tel ou tel événement historique mentionné dans le roman ? Comment leur éducation a-t-elle façonné les générations suivantes ? Quelles sont les répercussions de leurs choix sur leur descendance, et par conséquent, sur moi ?
“[…] le vrai trésor d’histoires est là, de part et d’autre, dans les corps fatigués de ses aïeuls, ces corps qui sont aussi en lui, en elle.”
Plus on avance dans la lecture, plus on se rend compte du travail monstre qu’a accompli l’auteur pour retracer son histoire. Ce n’est pas une succession d’anecdotes, une liste de dates clés ni un état civil transgénérationnel.
Ce sont des souvenirs recueillis et retranscrits par une plume tendre, bienveillante et nostalgique, si détaillée qu’on pourrait croire que Philippe Manevy a vraiment assisté à la rencontre de ses arrière-grands-parents. Ce sont des interprétations, après avoir feuilleté un album photo. Mais aussi des déductions, après analyse d’une habitude ou d’un tic qui lui ont semblé anodin toute sa vie mais qui prennent tout leur sens quand on imagine leur origine.
Le résultat, c’est donc une sorte de patchwork animé par des personnages touchants et vrais, avec leurs forces et leurs failles. En filigrane, un siècle bouleversé par deux guerres mondiales, des désillusions, l’essor de la lutte ouvrière. L’auteur a fait le choix de ne pas embellir certaines vérités, et le recul dont il fait parfois preuve est le bienvenu. Car entretenir la mémoire familiale, c’est ne rien oublier.
Un roman à ne pas rater, qui pousse à la réflexion, qui émeut et fait sourire, qui réveille quelque chose en vous !
Marie


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