Rencontre avec Anna, lectrice-correctrice

Il y a quelques semaines, nous vous avons présenté deux librairies coups de cœur d’Aix-en-Provence. Si la ville abrite un certain nombre de lieux inspirants pour My Memento, ses habitants aussi font vivre le livre. 

C’est pourquoi nous sommes autour d’une table, chez Book in Bar. Le coffee/bookshop est bondé, on entend plein de langues et d’accents différents, une véritable fourmilière. En face de nous, Anna Kujawa, lectrice correctrice fraîchement diplômée. Amie de Malik, elle est aussi correctrice privilégiée pour ses romans en cours d’écriture. On prend des nouvelles des enfants, des conjoints, et puis on se lance !

Il y a quelques temps, le parcours d’Anna a pris un virage à quatre-vingt-dix degrés. Ancienne responsable des ressources humaines, la remise en question débute après la naissance de son premier enfant. “Comme beaucoup de femmes, il y a cette case qui s’allume : est-ce que je fais quelque chose qui me ressemble ?” Puis le deuxième enfant arrive, quinze mois plus tard, suivi d’un déménagement à Aix-en-Provence. Les questionnements se transforment en évidence : adieu le bureau, “je voulais vivre de quelque chose qui me stimule intellectuellement.”

« Je suis une amoureuse des livres, les mots m’ont sauvée. »

Même si les études ou les projets professionnels d’Anna n’ont, jusqu’alors, pas été en lien avec la littérature, nous avons face à nous une passionnée qui a toujours gravité autour de cet univers. Elle nous cite l’œuvre de Carole Martinez (Le Cœur cousu, Du domaine des Murmures, La terre qui penche) comme l’une de ses inspirations principales quand elle-même prend la plume : Anna est en train de terminer son premier roman, un récit contemplatif et très intime, qu’elle espère voir publié un jour.

Elle est tombée un peu par hasard sur le métier de lectrice-correctrice. Ce sont des rencontres décisives qui l’ont mise sur la voie, car si Anna a bien une force, c’est celle de créer un réseau. Elle est allée chercher des témoignages, des retours d’expérience. Elle a rencontré cette communauté très solidaire (et très féminine) des lectrices-correctrices francophones.

C’est comme ça qu’elle a entendu parler de la formation proposée par l’EFLC (École Française De Lecteur-Correcteur), qui propose deux sessions de six mois par an. Au-delà de la théorie, Anna est ressortie de cette formation avec une réelle méthodologie. “On apprend un métier”, et en effet, il ne lui a pas fallu longtemps pour décrocher ses premiers contrats (vous trouverez les références des œuvres corrigées par Anna en fin d’article).

Mais concrètement, c’est quoi le métier de lecteur-correcteur ?

« La correction, c’est presque mathématique ! »

La correction, c’est différent de la réécriture, ou de la bêta-lecture. Pour synthétiser, le lecteur-correcteur s’attache plutôt à la forme qu’au fond du texte. Il travaille sur des épreuves, c’est-à-dire un texte qui a déjà été nettoyé et relu. A partir de là, c’est la chasse aux coquilles, aux incohérences : syntaxe, grammaire, codes typographiques. “On t’apprend où poser ton regard”. Et cela, sans jamais s’immiscer dans la créativité de l’auteur. Anna insiste sur la notion de doute : chaque mot doit éveiller des questions, qui mènent à des recherches et des digressions. Elle s’arrache parfois les cheveux pendant quarante-cinq minutes pour un détail ! Mais le sentiment de satisfaction quand la réponse apparaît est indescriptible 😉

« Être un bon correcteur, c’est être capable de douter au bon moment, et au bon endroit. »

Anna travaille depuis peu en collaboration avec un éditeur montréalais spécialisé dans la littérature jeunesse écologique : KATA. Une journée type se présente ainsi : elle amène ses enfants à l’école, elle fait un tour dans sa boîte mail, elle se fait couler un café et c’est parti. Session de quatre heures devant l’écran, imperturbable. La capacité de concentration du lecteur-correcteur est l’une de ses plus grandes qualités. Anna travaille d’abord sur ordinateur, puis sur papier, pour ne rien laisser passer. Pour l’épauler, elle utilise le logiciel Antidote, des dictionnaires, et la bible du lecteur-correcteur : le Lexique des règles typographiques. Alors qu’Anna était plutôt une lectrice qui relisait en boucle les mêmes livres et les mêmes auteurs, elle consomme aujourd’hui la lecture différemment : ses choix sont plus diversifiés et hétéroclites, pour s’inspirer, rencontrer de nouvelles tournures de phrases, etc.

Alors, c’est quoi la suite ?

Si le lecteur-correcteur doute face à son texte, il doute aussi au quotidien car ce n’est pas une profession qu’on exerce sereinement. On peut être engagé au sein d’une maison d’édition, ou travailler en freelance, mais il n’est pas toujours facile de tirer son épingle du jeu. Il faut “réseauter”, créer du lien, persévérer. Se renseigner, aussi, pour connaître ses droits. C’est comme ça, notamment, qu’Anna a fixé ses prix quand elle démarche des éditeurs : 22€/heure. 

Anna ne manque pas d’ambition, et sait se réinventer. Pour l’heure, elle est épanouie avec sa nouvelle casquette de lectrice-correctrice. Elle combine cette activité avec un CDI à mi-temps qui lui assure une certaine sécurité. Mais elle a plein de projets dans la tête. Quand on lui laisse carte blanche pendant trente secondes, cela se transforme en plusieurs minutes de rêves, d’idées, d’un avenir qu’elle esquisse en quelques mots… Évoluer pour devenir bêta-lectrice ou coach littéraire, accompagner les auteurs dans leur créativité, créer un podcast, transmettre son rapport à la littérature… 

« J’ai envie que les gens théâtralisent leur vie.« 

Ce qui est le propre de la littérature, il nous semble…

Merci Anna pour cet entretien enrichissant, inspirant.

On espère vous avoir fait découvrir cette profession qui, bien qu’un peu dans l’ombre, demeure essentielle pour que le livre qui se trouve entre vos mains voit le jour.

À très vite !

Marie & Malik

Vous pouvez retrouvez Anna sur Linkedin.

Pour découvrir les œuvres corrigées par Anna :

Maud Chayer, Keyu Chen, Lila veut un sapin, collection Les cinq sœurs, éd. KATA, Montréal, 2024.

Laura Doyle Péan, Opération fleur de nuit, éd. KATA, Montréal, 2024.

Joshua Barkman, False Knees, Hop! Montréal vu d’en bas, éd. KATA, Montréal, 2024.

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