« Au crépuscule », Jaap Robben

Gallmeister, 2024

Traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg

Amour interdit × Nostalgie × Secrets × deuil

Note : 4 sur 5.

Frieda a quatre-vingt-un an, et Frieda a perdu Louis. Ce n’était pas ce qui était prévu. Elle devait partir la première, c’était elle qui souffrait depuis des années, c’était sa santé qui se détériorait de jour en jour. Mais Louis est parti.

Il y a bien Tobias, leur fils, mais comment vivre à deux quand on a toujours été trois ? Comment faire sans le pilier, le ciment de la famille ? Comment faire sans Louis ?

Frieda se retrouve au crépuscule de sa vie, seule, hantée par les souvenirs d’une vie moins banale qu’il n’y paraît. En 1963, la jeune femme qu’elle était a connu un premier amour déchirant, interdit. Il s’appelait Otto, et il était marié. Elle ne l’a jamais revu, mais il ne l’a jamais vraiment quittée pour autant : tout au long de sa vie, le quotidien de Frieda fut ponctué de petits morceaux de lui, d’eux.

Et tandis qu’il ne reste plus rien à Frieda à part attendre que le temps passe, que sa vie s’efface, Otto devient une obsession.

« Chaque cours d’eau était notre rivière. Lorsque nous levions les yeux, nous voyions nos nuages. Et ce qui n’était pas encore beau le devenait à l’instant même où notre regard s’y posait. »

Un roman d’une grande mélancolie dont le premier chapitre m’a presque arraché des larmes. On y découvre une femme esseulée, étourdie par le chagrin. Son fils l’installe dans une résidence pour personnes âgées, et Frieda se retrouve alors impuissante tandis qu’on la dépouille de tout : Louis, la maison familiale, ses meubles, son cactus préféré. Sa dignité.

C’est bouleversant, et l’empathie pour cette femme est immédiate, elle vous saisit et ne vous lâche plus. Parce qu’au premier abord, Frieda est une femme très douce, fragilisée par le deuil. On découvre très vite qu’en réalité, un feu l’habite, indomptable et imprévisible. Frieda est une force de la nature. 

Je salue le travail de l’auteur pour cette représentation d’une femme de 80 ans : elle me semble très proche de la vérité, du moins de ce que j’ai pu voir ou interpréter autour de moi. La frustration, l’indifférence parfois déplacée, le sens des priorités, les manières. C’est juste, et c’est vrai.

Tout le roman est écrit du point de vue de Frieda, ce qui aide le lecteur à vraiment comprendre cette femme, son passé et son présent. C’est d’ailleurs ce qui nous tient en haleine jusqu’à la fin : Frieda rouvre de vieilles blessures, en quête de réponses. Puis on assemble les pièces du puzzle, petit à petit.

On alterne entre plusieurs temporalités. Frieda se remémore sa liaison interdite avec Otto, un homme marié de douze ans son aîné, en 1963. Cette histoire d’adultère ne m’emballait pas, même s’il s’agit bien d’un épisode déterminant de la vie de Frieda. Un point de départ, en quelque sorte.

« Je me suis parfois demandé si j’avais vraiment existé avant de rencontrer Otto. »

On a donc le schéma classique de la jeune fille ingénue qui s’éprend d’un homme un peu lâche et amoureux de deux femmes. Mais ça va tellement plus loin. D’après moi, ce roman n’est pas une histoire d’amour. Otto, bien que très présent, m’a paru en retrait tout au long du récit, car c’est bien un personnage secondaire. Au crépuscule, c’est l’histoire de Frieda.

La force de ce roman réside dans l’ambivalence de tous ses personnages : ils sont parfaitement nuancés, ils ne sont pas caricaturaux. Je pense à Tobias, dont l’égocentrisme et le ton m’ont beaucoup agacée au fil des chapitres. Mais il sait aussi témoigner son amour à sa mère, il sait être tendre et prévenant. Otto est lâche et malhonnête, mais il peut se montrer responsable et compréhensif. Frieda n’est pas parfaite non plus : ses sautes d’humeur sont souvent mentionnées. Tout cela crée un panel de protagonistes réalistes, forts, cohérents, attachants. L’histoire en est d’autant plus crédible. 

Ne souhaitant pas trop en dévoiler, je soulignerais seulement l’universalité de ce récit qui, on le découvre à mi-chemin, est très engagé. Il est ancré dans une époque qui a sa part d’ombre, et qui n’est pas si lointaine.

Vraiment, je ne pensais pas être aussi touchée par ce roman. Cela, jusqu’à la toute dernière ligne, qui m’a frappée de plein fouet. Au crépuscule, le titre est parfait, douloureux et bouleversant. On l’interprète comme on veut. C’est doux, incisif, nostalgique, beau, inspirant. 

C’est Frieda, un personnage qui n’est pas près de me quitter.   

Marie

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