Grand Angle, 2023
Découverte × Survie × Traduction × Identité × Conquête
Elle s’appelle Malinalli Ou Marina Ou encore Malintzin mais c’est surtout la femme qui parle.
Elle aura vécu plein de vies en une seule, aura survécu à plein de vies en une seule. Car c’est de ça qu’il s’agit dans cette BD de Alicia Jabara, l’histoire d’une survie. Qu’aurions nous fait si nous avions été elle, qu’auriez vous fait ? Elevée dans un monde en pleine mutation, replacée dans la grande histoire de la « découverte de l’Amérique », placée sur les pas de l’impitoyable et du machiavélique Corto Maltes, l’héroïne n’aura cesse de trouver tous les moyens pour s’en sortir. En premier lieu, ses mots. Par sa capacité à assimiler et apprendre les langues, Malinalli passera du statut d’esclave à celui d’interprète au service du célèbre conquistador.
“Tu connais les langues. Voilà pourquoi tu es unique… Et nécessaire. ”
Une vie à servir, certes, mais loin de celle qu’elle connut dans la péninsule du Ma’ya’ab où elle fut captive après avoir été enlevée, ou vendue, loin de son village natal d’Oluta. L’histoire des premiers peuples d’Amérique nous est parfois inconnue ou pas racontée, la force de cette BD d’Alicia Jabara est de recontextualiser par des cartes et des définitions lexicales, les lieux et mots que nous croiserons tout au long du récit.
Pas de panique donc, il vous est proposé dans cette BD une immersion totale et guidée dans ce qui aura été l’un des plus grands bouleversements qu’ont connu ces civilisations. La rencontre avec l’homme blanc. La rencontre avec Cortés.
Malinalli se retrouvera prise entre deux feux. Dans cette grande Histoire, la sienne sera jalonnée de mots qu’elle devra choisir, peser, traduire, dévoyer pour tenter d’assurer un dialogue entre deux peuples. Et dans cette grande Histoire, c’est bien souvent sur le messager que l’on tire… Car la langue de la conquête, et la conquête en elle-même, n’auront plus de secrets pour cette héroïne qui parfois se retrouvera dans des situations la mettant en porte à faux avec ceux de sa propre culture. Et là tout devient plus difficile… A quoi bon être le messager, être celle qui parle, quand personne ne veut vous parler ?
La force des traits et des couleurs dans cette bd viennent accentuer chaque moment d’émotions et d’action qui traversent la lecture. Et les planches, parfois sans bulles, soulignent des moments de tension qui auraient pu être les nôtres, les vôtres, si seulement mis à la place de Malinalli.
“ Tant de temps à parler la langue d’autrui. Et ici, dans ma ville natale, […], Les paroles ne sont plus nécessaires.”
Alicia Jaraba nous interroge : quel choix, quelle décision quand le tout est de survivre ?
Je n’ai jamais été un féru de cette histoire amérindienne, mais je dois reconnaître l’universalité de la question. Dans le monde entier, dans tous ses recoins où la colonisation a entraîné la conquête et la domination, il y a eu un ou une Malinalli. Quelqu’un avait les mots, quelqu’un a dû faire un choix entre traduire et survivre. La question est bien universelle…
Il est important de saluer que l’autrice ne tombe pas non plus dans une caricature des portraits. L’héroïne trouvera des deux côtés soutiens et ennemis, et des deux côtés rejet et amis. Et alors, loin d’elle l’envie de dépeindre une société aztèque idyllique face à un Occident brutal.
La brutalité est humaine. Le besoin de survie aussi. L’espoir également. Et c’est par la force des choses que se construit alors la légende. Sous des couleurs pastels et un coup de crayon détaillé, Alicia Jaraba dessine notre humanité sous les traits de cette jeune femme loin du cliché Disney. Ce n’est pas cette Pocahontas là. Ou alors celle qui aurait dû être, a dû être. C’est Malinalli. C’est celle qui parle. Celle qui a les mots. Ni aztèque, ni payaab, ni conquise…
Juste humaine.
MALIK


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